par Seyfeddine Ben Mansour
L’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman a
organisé le 12 janvier dernier deux conférences sur le thème « Les waqfs et leurs réseaux de nos jours en Turquie et en Europe ». Faruk Bilici (INALCO) a traité la question de « La renaissance du vakif en Turquie : évolution sociale et législative ». Randi Deguilhem (CNRS et IREMAM-MMSH) a abordé quant à lui celle des « waqfs
et [de] leurs réseaux en France actuelle ». Le waqf (ou habs) est une
institution islamique. Elle permet de retirer de la propriété privée un
bien de manière définitive (pour les écoles shâfi‘ite et hanafite, il
devient la propriété de Dieu), puis d’affecter son usufruit à des œuvres
de bienfaisance ou d’intérêt public. C’est un legs pieux, par lequel le
généreux donateur fait une sadaqa jâriya, une aumône
perpétuelle. Il s’agit le plus souvent de biens immeubles : terres
cultivables et bâtiments, essentiellement. Les revenus qu’ils procurent
servent par exemple à venir en assistance aux veuves et aux orphelins,
comme aux pèlerins loin de chez eux. Ils servent à édifier et entretenir
des mosquées, des hôpitaux, des bibliothèques, des universités (madrasa-s).
C’est ainsi qu’ont été construits en 1470 l’hôpital et la faculté de
médecine Dâr al-Shifâ’ au Caire. Deux siècles plus tôt, en 1288, Ibn
al-Nafîs, — célèbre pour avoir découvert le système de la circulation
sanguine —, léga en waqf sa maison et sa bibliothèque à l’hôpital Mansûrî, établissement où il a longtemps enseigné.
Le waqf a bénéficié aux non-musulmans
Le waqf a bénéficié aux non-musulmans
Les waqf-s permettaient de payer les frais de fonctionnement
des hôpitaux, mais aussi les soins et la nourriture des malades, la
formation des étudiants en médecine, ou encore de financer la recherche.
Nombre de travaux scientifiques de Ibn Sînâ (Avicenne, 980-1037) ou de
Ibn Rushd (Averroès, 1126-1198) ont été rendus possibles grâce à ces
legs pieux. Au Maghreb, le waqf est, traditionnellement, et par
excellence, le moyen d’entretenir les zâwiya mosquées et lieux de
réunion des confréries maraboutiques. Malgré son importance dans
l’histoire des sociétés islamiques, l’institution du waqf ne
correspond pas à une obligation coranique : le croyant est simplement
invité à consacrer une partie de ses biens à des œuvres pieuses « car
tout ce que vous aurez donné, Dieu le saura » (Coran, II, 86). Il existe
par contre de nombreux hadiths sur le sujet. Un de ses compagnons a
ainsi demandé au Prophète quelle manière de disposer de sa terre serait
agréable à Dieu : « Immobilise-la de façon à ce qu’elle ne puisse être
ni vendue, ni donnée, ni transmise en héritage, et distribue les revenus
aux pauvres », lui a-t-il été répondu. Le Prophète constitua d’ailleurs
le premier waqf de l’Histoire. A Médine, les sept jardins qui
jouxtaient la première mosquée de l’islam ont vu leur revenu consacré à
des œuvres pieuses. D’autres musulmans suivront cet exemple. Néanmoins,
ce n’est qu’au cours du IXe siècle que le waqf sera codifié par
les jurisconsultes (fuqahâ’). Le phénomène prendra alors une grande
ampleur au cours des siècles suivants, et notamment à partir du XIe.
Très tôt, il aura bénéficié aux non-musulmans : le calife Omar II
(680-720) l’autorise en effet pour ses sujets juifs et chrétiens. Des waqf-s
seront ainsi constitués au profit d’églises et de synagogues, rendant
possible la constitution d’un patrimoine culturel et religieux. « Cet
évangile béni a été constitué en waqf perpétuel au profit de
l’église Saint-Ananie l’Apôtre, dans la ville de Damas, à l’intérieur de
Bâb Sharqî », lit-on ainsi sur l’acte de waqf d’un évangéliaire melkite du XVe siècle.
Mots clés : Islam des mondes.
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