par Seyfeddine Ben Mansour
Du 25 au 27 janvier dernier, s’est tenue à Casablanca la VIIe
édition du Prix international Mohammed VI de mémorisation et de
psalmodie du Saint Coran. Au Maroc, la récitation du Coran se fait selon
la lecture (qirâ’a) dite « de Warsh (d’après Nâfi‘) ». Il
s’agit de l’une des deux versions actuellement les plus en usage dans le
monde musulman avec celle dite « de Hafs (d’après ‘Âsim) ».
Majoritaire, cette dernière a reçu en 1923 une sorte de sanction
officielle en étant adoptée pour l’édition égyptienne standard. Il
existe au total 14 lectures admises du Coran, parmi lesquelles 7 sont
considérées comme canoniques. Néanmoins, ces quatorze variantes ne
différent pas fondamentalement entre elles et n’affectent donc pas,
globalement, le sens du Texte. Les différences sont d’ordre phonétique —
kuffâr / kuffêr, « mécréants » —, morphologique — ‘amilat / ‘amilat-hu, « ce que fit » —, lexicographique — kabîr, « grand » / kathîr « nombreux » — et plus rarement syntaxique — wa-bi-l-Zubur wa-bi-l-Kitâb / wa-l-Zubur wa-l-Kitâb,
« (avec) les Psaumes et le Livre ». Très tôt, le Coran a été conservé
sous une forme orale et mis par écrit, du vivant même du Prophète ou peu
après sa mort. Les différentes sourates ont été en effet recueillies et
mises en ordre pour la première fois par ses Compagnons. C’est sous le
règne du troisième calife, ‘Uthmân (644-656), que sera établi le recueil
qui servira de Vulgate (al-Mushaf al-Imâm). Cette recension,
néanmoins, n’était jamais que l’une de celles qui existaient pendant les
quatre premiers siècles de l’islam. D’autres « lectures » (qirâ’ât) ou « recueils » (masâhif),
attribués à plusieurs Compagnons du Prophète, étaient en usage. Les
plus fréquemment cités sont ceux d’Ibn Mas‘ûd à Koufa, d’Abû Mûsâ à
Bassorah, et de Ubayy en Syrie. La Vulgate ‘uthmanienne s’imposera
péniblement, notamment à Koufa. La première version, écrite en hijâzî,
ne comportait ni voyelles, ni points diacritiques : treize lettres
servaient ainsi à transcrire une trentaine de sons. Ce sera là une
première source de divergence à partir d’un texte voulu pourtant
normatif, plusieurs combinaisons de sens étant possibles pour une même
série de lettres.
Le système de Ibn Mujâhid
Au
début du Xe siècle, le système graphique précis introduit par al-Hajjâj
(694-714) est devenu d’un emploi généralisé. Paradoxalement, les
différences s’accentuent. La rivalité entre les savants est grande,
chacun prétendant détenir la vocalisation, et donc la lecture correcte.
Un personnage jouera ici un rôle central. Il s’agit de Abû Bakr Ibn
Mujâhid (m. 936) qui entreprendra la réforme la plus importante après la
recension du calife ‘Uthmân. Comprenant qu’il était désormais devenu
impossible de réaliser une uniformité absolue, il entreprit de réduire
le nombre des lectures acceptables. Il choisit donc sept professeurs de
Coran bien connus du VIIIe siècle et déclara que leurs lectures avaient
toutes une autorité qui manquait aux autres. Sa décision était notamment
fondée sur le hadith dans lequel le Prophète dit que le Coran lui a été
révélé en « sept ahruf » ou « variantes de lecture ». Il développera
cette théorie dans son traité al-Qirâ’ât al-sab‘ (Les Sept Lectures).
Elle sera adoptée par les vizirs Ibn Mukla et ‘Alî Ibn ‘Îsâ et rendue
officielle en 934. Au-delà de la légitimation hadistique (en amont) et
politique (en aval), le système de Ibn Mujâhid correspondait à la
situation de facto. Chacune des lectures retenues correspondait
en effet à l’un des grands centres d’études coraniques : Médine
(Nâfi‘), La Mecque (Ibn Kathîr), Bassorah (Abû ‘Amr), Damas (Ibn ‘Amîr)
et Koufa (‘Âsim, Hamza et al-Kisâ’î).
Article publié sur Zaman France (11 février 2012).
Mots clés : Coran, Islam des mondes.
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