mardi 8 juillet 2014

La madrasa : ancêtre de l’université occidentale

par Seyfeddine Ben Mansour

L’Université islamique Darul Huda de l’État du Kerala a lancé ce 5 février les célébrations de son jubilé d’argent. Fondée en 1986, cette institution s’est imposée comme une madrasa pilote pour l’ensemble de la communauté musulmane d’Inde. En 25 ans, la madrasa Darul Huda a réalisé son objectif «d'islamiser la connaissance et de moderniser l'enseignement religieux.»
Littéralement, madrasa signifie «lieu où l’on étudie». Le concept est ouvert, et recouvre donc des réalités variées. Les écoles primaires laïque turques sont appelées medrese. Mais essentiellement, historiquement, le mot a désigné des institutions d’enseignement supérieur orientées vers les sciences sacrées. Elles seraient à l’origine de nos universités actuelles. Les premières madrasas ont été fondées à Fès (Maroc) en 859, autour de la mosquée des Qarawiyyûn. Elle seront suivies des célèbres al-Azhar (Xe siècle) et Nizâmiyya (XIe siècle) d’Égypte. Elles fleuriront rapidement dans tous les grands centres urbains de l’empire arabo-musulman : de Cordoue au Xinjiang chinois en passant par Tombouctou, Damas, Iznik, Samarcande et Boukhara… La seule madrasa Sankoré à Tombouctou réunissait à elle seule plus de 25.000 étudiants au XVe siècle.
Si les madrasas médiévales proposaient essentiellement un enseignement de théologie et de fiqh (jurisprudence islamique), les matières profanes n’étaient pas absentes, et notamment les mathématiques, l’astronomie, la philosophie et la poésie. Néanmoins, centrées sur l’islam, leur étude était essentiellement destinée à permettre une meilleure intelligence du message divin. C’est dans ce but que, dans les madrasas ottomanes, étaient également enseignées, outre la calligraphie, les «sciences orales», comme la syntaxe et la morphologie de l’arabe, la rhétorique et l'histoire, et les «sciences intellectuelles», telles que la logique et la philosophie. Le monde occidental connaîtra une évolution très comparable. La Sorbonne a ainsi été fondée par le théologien Robert de Sorbon (XIIIe siècle).
Il semble, du reste, qu’historiquement les universités occidentales aient été fondées sur le modèle des madrasas musulmanes. C’est du moins la thèse de George Makdisi, qui s’appuie sur la grande similarité d’une part, entre les modes de financement, et d’autre part, entre les modes d’organisation. Le waqf, legs pieux, qui sert à financer les madrasas semble l’équivalent en droit musulman des fiducies de bienfaisance qui financent les universités catholiques. Par ailleurs, le diplôme qui sanctionne le cycle d’études se nomme ijâzat al-tadrîs («licence d’enseigner») : l’équivalent latin licentia docendi, à l’origine de notre doctorat, en est la traduction littérale. L’appellation traditionnelle «chaire de (philosophie, d’histoire, etc.)» remonterait à l’usage des shaykhs musulmans d’enseigner assis sur une chaire, surelévés par rapport à leurs étudiants. De même le «cercle académique» : les étudiants musulmans étaient assis en cercle. De même les termes de (chercheur) associé (latin, socius, traduction de l’arabe sâhib) ; ou ceux, hérités du latin, et que l’anglais a conservés, tels que to read a subject, «étudier une matière», mais qui signifie littéralement «lire une matière» où l’on retrouverait la qirâ’a («lecture du Coran») comme activité intellectuelle fondatrice. Mais l’influence se verrait aussi dans le mode d’obtention d’un doctorat (capacité à défendre une idée par l’argumentation), le port de la robe des lauréats (pratique encore en usage dans les universités anglo-saxonnes), inspirée des codes vestimentaires musulmans, etc. Makdisi relève enfin que la première université européenne est postérieure de quatre siècles à la première madrasa. La fondation de l’université de Naples en 1224 est en outre le fruit de la volonté d’un homme, l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, arabophone de Sicile et grand admirateur de la culture arabo-musulmane.

Article publié sur Zaman France (11 février 2011).

Mots clés : Islam des mondes.


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