vendredi 4 juillet 2014

Islam de la Réunion : "un modèle pour la France"

par Seyfeddine Ben Mansour

 L’islam de La Réunion a fait récemment l’objet d’un ouvrage richement documenté dû à l’anthropologue Marie-France Mourregot. Il décrit une communauté musulmane à bien des égards différente de celle de métropole : globalement aisée, très structurée, relativement homogène, et impliquée dans la vie associative et politique. Une communauté qui, quoiqu’elle ne représente que 5 % de la population de l’île, occupe néanmoins une place de premier plan dans les domaines politique et économique. A tel point que le délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, Patrice Karam, a estimé en janvier dernier que La Réunion pouvait "être un modèle pour la France en matière de savoir-vivre ensemble". Soulignant le fait que nombre de musulmans occupent des postes importants dans la société réunionnaise — à l’instar de Nassimah Mangrolia-Dindar, présidente UMP du conseil général —, il a déclaré que "les difficultés et les discriminations ne [devaient] pas être une explication à l’échec personnel", allusion explicite aux musulmans de métropole.
Comme le rappelle Marie-France Mourregot, "l’histoire montre qu’un modèle ne se transpose jamais", même si on peut, en métropole, "s’inspire[r] de ce qui a été possible à La Réunion et [réfléchir] à ce qui peut être fait".
La communauté musulmane réunionnaise est à la fois ancienne et très homogène : elle est composée pour l’essentiel de descendants d’immigrés originaires du Gujarat, dans le nord de l’Inde, et arrivés dans les années 1850. Elle est aussi aisée : pendant longtemps, les musulmans ont régné presque sans partage sur le commerce de l’île. Ces trois caractéristiques — ancienneté, homogénéité et prospérité — expliquent en grande partie la spécificité de cet islam insulaire. Ainsi, dès 1905, la communauté fait construire la première mosquée de la République, la mosquée Noor Al Islam de Saint-Denis, et la dote de biens immeubles dont les revenus locatifs couvrent, aujourd’hui encore, les trois quarts des frais de fonctionnement. La mosquée dispose d’une autorisation de la mairie pour lancer l’appel à la prière cinq fois par jour. Néanmoins, vendredi excepté, les responsables n’en usent qu’une fois par jour, par souci de ne pas déranger le voisinage. Plus généralement, les musulmans de la Réunion ont été des pionniers en matière d’institutions religieuses islamiques en terre chrétienne. En 1915, ils créent le premier cimetière privé musulman de France. En 1947, ils fondent la médersa Taalîm oul-islâm de Saint-Denis, qui est depuis 1990 la seule école confessionnelle musulmane de France sous contrat d’association avec l’Education nationale. Les programmes scolaires nationaux y sont assortis d’un enseignement religieux facultatif. Dans les établissements publics, la loi du 15 mars 2004 dite "anti-voile" est contournée, avec l’assentiment bienveillant de l’académie de La Réunion : les jeunes filles sont autorisées à porter un bandana pour couvrir leurs cheveux. Le Parti Communiste notamment avait vivement dénoncé cette loi, déclarant qu’elle portait "atteinte à ce vivre ensemble qui fonde [leur] identité de Réunionnais."
Les musulmans gèrent leurs institutions et leur patrimoine communautaire de manière remarquable. Un système de cotisations, de dons et de revenus générés par le patrimoine assure le financement des mosquées, des écoles coraniques et des cimetières, qui sont gérés à titre privé par des associations dans les différentes villes.
Financièrement autonomes, les musulmans réunionnais s’enorgueillissent de ne recevoir de directives de personne. Ils sont également fiers de leurs institutions, dont les membres sont élus et non cooptés, et qui les représentent fidèlement auprès de l’Etat, n’hésitant pas par exemple à dénoncer officiellement le caractère inique de la loi sur le voile intégral.
Enfin, les 140 imams que compte l’île sont tous Réunionnais : ils transmettent le message de l’islam dans leur langue, et s’adressent à des musulmans qui, comme eux, sont des produits de l’école de la République.


Article publié sur Zaman France (20 août 2010).

Mots clés : Saint-Denis, Marie-France Mourregot, Patrice Karam, France, Inde, Gujarat, Islam, La Réunion, Noor-e-Islam, Mosquée, Noor Al Islam, medersa, Islam des mondes.

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