mercredi 9 juillet 2014

Alamut, à la mort : la dévotion des Assassins

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 15 novembre dernier sortait le quatrième opus de Assassin’s Creed, le célèbre jeu vidéo du français Ubisoft. Intitulé Révélation, il a pour cadre l’Istanbul du début du XVIe siècle, une ville alors à son apogée, au centre d’un empire sur trois continents. La relation avec les Assassins, une secte ismaélienne des XIIe-XIIIe siècles, ne s’explique alors que dans le cadre du jeu : grâce à une machine appelée « Animus », le héros, Desmond Miles, revit les actions de son ancêtre, un assassin d’élite agissant en Terre sainte occupée par les Croisés. C’est effectivement par l’intermédiaire des Croisés que le mot assassin entre dans les différentes langues d’Occident. D’abord en tant que nom propre, où il désigne, d’après le chroniqueur Guillaume de Tyr (m. 1184), « un peuple qui [en Syrie] règne sur dix forteresses ; il désigne lui-même son chef, appelé le Vieux de la Montagne ; sur son ordre, ses adeptes commettent des assassinats, sans peur des conséquences de leur acte […]. Lorsque le Vieux souhaite se débarrasser d’un prince, il lui envoie un de ses fidèles armé d’un poignard. » Ensuite en tant que nom commun, mais d’abord avec le sens de « dévôt », de « zélateur » correspondant d’ailleurs à l’arabe fidâ’î (al-Fidâ’iyya, « Ceux qui se sacrifient » est ainsi l’un des noms authentiques de la secte). Dès le XIIe siècle en effet, des troubadours se comparent aux Assassins : telle est leur dévotion à leur dame qu’elle va jusqu’au sacrifice total… Le sens évolue à mesure qu’on s’éloigne du cadre idéologique de la féodalité : le dévouement passe au second plan, au profit de la pratique meurtrière en tant que telle ; c’est lo perfidio assassin de Dante (XIVe siècle). Quant à l’étymologie du mot, si elle remonte bien en dernière analyse au mot hashîsh, « cannabis », la légende colportée par Marco Polo, selon laquelle les membres de la secte étaient préalablement drogués ne repose sur rien. Al-Hashîshiyya, nom péjoratif de la secte est un mot spécifiquement syrien. Le commun des sunnites devait l’employer pour dénoncer l’hétérodoxie de cette branche nizârite de l’ismaélisme, un courant de l’islam chiite lui-même minoritaire.

Les Croisés victimes des Assassins
C’est en effet pour répondre aux persécutions dont faisaient l’objet les Nizârites que le célèbre Hassan Ibn al-Sabbâh, dit « le Vieux de la Montagne », fonda vers la fin du XIe siècle un chapelet de forteresses inexpugnables, sur les crètes d’Alamût, au nord de la Perse. Véritable Etat dans l’Etat, parfaitement organisé, la forteresse d’Alamût avait essentiellement pour mission d’assurer la survie de la communauté dans un environnement hostile. L’assassinat bien qu’il entrait également dans cette perspective était relativement accessoire. Il ne visait jamais, du reste, que des personnages importants. Le membre de la secte choisi pour accomplir cette mission devait approcher la cible et gagner sa confiance. Souvent, il devient son serviteur, ou se fait passer pour un derviche, voire pour un docte religieux versé dans le fiqh sunnite. Le moment venu, il plante son poignard en criant « au nom de Dieu, de la part de Hassan Ibn al-Sabbâh ! » Ainsi périra en 1092 celui qui avait tenté, en vain, de réduire Alamût, le puissant vizir seldjoukide Nidhâm al-Mulk. De même son frère, son fils, le sultan Mâlik Shah, le Fâtimide al-Amîr, deux califes abbassides, ainsi que des centaines d’autres puissants. Plus tard en Syrie, lorsque le titre de Vieux de la Montagne passera à Rashîd ad-Dîn Sinân en 1163, ce sera au tour des Croisés de connaître leur lot de victimes, et Conrad de Montferrat, roi de Jérusalem, ne sera pas la moindre.

Article publié sur Zaman France (01 décembre 2011).

Mots clés : Islam des mondes.

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