mardi 8 juillet 2014

«Chrétiens d’Orient» : passionnément Arabes

par Seyfeddine Ben Mansour

Une bombe a explosé peu après minuit devant l’église des Saints (Al-Qiddisîn) d’Alexandrie, faisant 21 morts et 79 blessés parmi les fidèles réunis pour la messe du Nouvel An. Cet attentat est le plus sanglant qu’aient connu les Coptes d’Égypte. Il s’inscrit dans la lignée des attentats qui visent les chrétiens arabes depuis l’occupation de l’Irak par l’armée américaine en 2003.
Il y a aujourd’hui dans le monde environ 30 millions d’Arabes chrétiens, soit un peu plus d’un Arabe sur dix. Près de la moitié vivent en Occident (notamment dans les Amériques). La communauté la plus importante est celle du Brésil (12 millions). Elle est une fois et demie supérieure à celle des Coptes d’Égypte, la plus importante communauté chrétienne du Moyen Orient (8 millions). Liban excepté (30 %), la proportion des chrétiens est relativement faible dans les pays de la région : 10 % dans le cas de l’Égypte, de la Syrie et d’Israël, 3% en Irak, 2% en Palestine et en Jordanie.

L'Eglise des Arabes

S’il existe une église des Arabes, il n’existe pas une Église qui s’appellerait l’Église arabe. Les Arabes chrétiens sont catholiques romains, grecs orthodoxes, grecs catholiques melchites, arméniens catholiques, syriaques catholiques, syriaques orthodoxes, chaldéens, maronites et coptes.
La communauté arabe chrétienne est en effet riche d’une histoire prestigieuse et d’un patrimoine ancestral. Elle est l’héritière des premières communautés chrétiennes qui se sont constituées autour des évêchés de Jérusalem, d’Antioche, d’Alexandrie et de Constantinople. De là, le christianisme se diffusera progressivement sur tout le territoire de l’actuel monde arabe, au sein d’une mosaïque de peuples que par la suite l’islam unifiera. Au fil des siècles, la diffusion de la langue arabe et de la culture arabo-musulmane créeront ce que, bien plus tard, on nommera l’arabité.

Unis par l'Islam, les chrétient participent à son essor

Les chrétiens, arabes ou arabisés, vont d’ailleurs puissamment contribuer à l’essor de la civilisation arabo-musulmane. Majoritaires dans l’empire abbasside jusqu’au Xe siècle encore, héritiers d’une longue tradition hellénique et syriaque, ils seront traducteurs, médecins, philosophes, mathématiciens, mais aussi brillants exégètes chrétien de langue arabe (Hunayn Ibn Ishâq, Qustâ Ibn Lûqâ, Yahyà Ibn 'Adî, etc.).
Ils joueront aussi un róle de premier plan dans l’architecture musulmane, dans l’art, les mosaïques, les textiles, l’artisanat, etc., comme dans toutes les expressions de la vie sociale. Les musulmans mettront deux siècles pour assimiler et dépasser cet héritage helléno-syriaque auquel leur auront permis d’accéder ces chrétiens de plus en plus Arabes.
Contrairement aux juifs arabophones, les chrétiens en terre d’islam ne se reconnaissent aujourd’hui d’autre identité qu’arabe. Par leur ouverture sur l’Occident et leur goût pour les belles-lettres, ils contribueront ainsi d’une façon décisive à la Renaissance littéraire et culturelle — la Nahda — de la «Nation arabe» à la fin du XIXe siècle.

Un chrétien à l'origine du panarabisme

Cette notion même a été, dans une large mesure, forgée par des intellectuels chrétiens, à l’instar de Michel Aflak (1910-1989), fondateur syrien du parti socialiste Baas. L'arabité, qui, sous sa forme nationaliste, sera jusqu’au milieu des années 70 le grand idéal des peuples arabes, devait mener à la construction d'un État panarabe ayant comme références la raison, le citoyen et la modernité…
La judaïsation inexorable de la Palestine, la guerre du Liban, l’instrumentalisation de l’islam par l’Occident, au temps de la guerre froide, dans le but de contrer le nationalisme arabe, idéologiquement proche de l’URSS, les injustices sociales criantes et la perte de repères induite par la globalisation sont autant de facteurs qui auront changé la donne.
C’est aujourd’hui l’appartenance religieuse qui prime, non l’arabité. L’occupation de l’Irak par une puissance qui se présente comme chrétienne suscite de fait un «choc des civilisations» dont la ligne de faille atteint maintenant l’Égypte, et qui était pourtant, des siècles durant, inconnu de l’islam et du christianisme arabes.

Article publié sur Zaman France (14 janvier 2011).

Mots clés : Jordanie, Iraq, Russie, Liban, Syrie, Moyen Orient, Alexandrie, Michel Aflak, chrétiens, arabes, Hunayn Ibn Ishâq, Qustâ Ibn Lûqâ, Yahyà Ibn 'Adî, Islam, christianisme, catholiques romains, grecs orthodoxes, grecs catholiques melchites, arméniens catholiques, syriaques catholiques, syriaques orthodoxes, chaldéens, maronites, coptes, Islam des mondes.

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