mercredi 9 juillet 2014

Comment la calligraphie arabe est devenue un art

par Seyfeddine Ben Mansour

Jusqu’au 2 juillet dernier s’est tenu à l’Institut du monde arabe un atelier découverte sur le thème de la calligraphie.

Les participants, des enfants, étaient invités à calligraphier, puis enluminer, à la façon d’un manuscrit ancien, un texte extrait de la littérature arabe. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître la beauté et la singularité de la calligraphie arabe. Ce résultat est pourtant l’aboutissement d’un long processus qui s’est déroulé des rives de l’Atlantique aux confins de la Chine. Ainsi, sept siècles de civilisation séparent-ils la fruste écriture lapidaire découverte sur une stèle datant de 652 (an 30 de l’Hégire) à l’extrême élégance du style diwânî exécuté par le célèbre copiste ottoman Izzet Effendi. L’écriture arabe a en effet été portée par le mouvement expansionniste de la religion à laquelle elle avait été dès l’origine associée. Instrument de matérialisation de la parole de Dieu, son prestige est immense. Pour autant, l’évolution de l’écriture arabe ne saurait être réduite à ce seul facteur. D’autres — techniques, esthétiques et psychologiques — eux aussi propres à la civilisation islamique, ont joué, parmi lesquels notamment l’assimilation de la réalisation graphique à une œuvre d’art. Ce dernier facteur est lui-même lié à la relative interdiction de la figuration, qui a profité à l’abstraction, qui, dans ce contexte, a pris une forme calligraphique. Parmi les facteurs techniques, il faut notamment citer la généralisation, à l’échelle de l’empire, de la fabrication du papier, et ce, dès le IXe siècle. Enfin, la multiplication des variétés stylistiques de l’écriture arabe ressortit à la variété des fonctions qu’elle remplit dans la société médiévale : l’écriture pratiquée par les scribes gouvernementaux dans leurs registres d’archives ne pouvait être la même que celle des calligraphes travaillant pour satisfaire les goûts de luxe de leur mécène, ni celle de pieux personnages recopiant le texte du Coran, ni celle de marchands s’adressant lettres privées et relevés de comptes, etc. L’évolution de l’écriture, puis de la calligraphie arabe, connaît schématiquement trois étapes. Tout d’abord, l’écriture archaïque utilisée en Arabie au tout début de l’islam. Ne visant aucunement à être esthétique, et encore techniquement imparfaite, cette écriture a néanmoins une valeur normative qui permettra à ses tracés de se maintenir sous les variations graphiques ultérieures les plus élaborées. Deuxième étape, l’écriture dite « d’empire », qui se développe sous les Omeyyades (661-750). Elle se caractérise par son souci d’équilibre et de régularité. L’évolution, proprement stylistique, ressortit pour une grande part aux nouveaux usages imposés par le calife ‘Abd al-Malik : l’arabisation de l’administration centrale et l’interdiction de la figuration sur les pièces de monnaie, au profit d’une calligraphie désormais ornementale. C’est dans cette variété dite naskhî que sera rédigé le bandeau épigraphique qui orne la coupole du Rocher à Jérusalem, le premier monument prestigieux de l’islam. Dernière étape enfin, celle de la naissance d’une écriture anguleuse, peu commode à tracer, mais d’une grande noblesse et d’une grande beauté : le coufique (kûfî). Né dans l’Irak abbasside au VIIIe siècle, il finira par caractériser cette époque qui en fera les usages les plus variés, depuis les inscriptions monumentales jusqu’aux copies du Coran. L’empire, immense et bientôt morcelé, verra ainsi fleurir une grande variété de coufiques, correspondant aux diverses dynasties régionales — tulunide, fatimide, ghaznawide, par exemple — qui développeront chacune leur propre répertoire d’embellissements calligraphiques.

Article publié sur Zaman France (17 août 2011).

Mots clés : Jérusalem, Chine, Calligraphie, Institut du Monde arabe, Islam des mondes.

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