lundi 7 juillet 2014

Chine : une islamisation du vivant du Prophète

par Seyfeddine Ben Mansour

Une délégation de l’Organisation de la Conférence Islamique s’est rendue début novembre en Chine pour observer les conditions de vie des musulmans autochtones. La Turquie y était représentée par Mehmet Görmez, vice-président du Département des affaires religieuses (Diyanet). Le constat est globalement positif : la liberté de culte est de plus en plus respectée, et le pays compte à ce jour 44.000 mosquées. Toutefois, l’éducation religieuse est largement insuffisante et les musulmans interrogés disent manquer de moyens humains et matériels. Mehmet Görmez a appelé à «renforcer les liens avec les autres pays musulmans».
La Chine compte aujourd’hui environ 20 millions de musulmans (1,5 % de la population totale). Deux communautés, l’une turcophone, les Ouïgours, l’autre, sinophone, les Hui, représentent à elles seules environ 90 % des musulmans de Chine.
Les Ouïgours habitent la région du Xinjiang, où ils constituent la minorité nationale la plus nombreuse (8,4 millions), et la deuxième minorité musulmane de Chine juste derrière les Hui. La région compte aussi d’autres communautés turcophones : kazakhe, kirghize, ouzbèke et tatare. Dispersés à travers le pays, les musulmans sinophones, les Hui, sont le groupe le plus important numériquement (9,8 millions). Ils sont physiquement semblables aux Hans, le groupe dominant, parmi lesquels ils vivent. Enfin, il existe deux communautés musulmanes mongolophones : les Dongxiang et les Bao’an.
C’est du vivant même du Prophète que l’islam a pénétré en Chine. Des commerçants arabes ou perses y étaient déjà établis depuis plusieurs générations, dans l’Ouest du pays et dans les villes portuaires comme Canton. C’est parmi cette population que l’islam chinois connaîtra ses premiers adeptes. En 627, l’oncle du Prophète, Sa‘d ibn Abî Waqqâs, vient prêcher l’islam à Canton. Il y fait construire le premier minaret, qui sera aussi, et pendant plus de mille ans, le seul phare du pays. En 650, le calife ‘Uthmân envoie un ambassadeur auprès de l’empereur Yongwei pour l’inviter à embrasser l’islam. S’il décline l’invitation, l’empereur exprime son respect pour les principes islamiques, et permet qu’une mosquée soit bâtie. Le plus ancien «temple de pureté et de vérité» (qingzhensi ; c’est ainsi qu’on nomme la mosquée en mandarin) remonte néanmoins à 742. Baptisée «Souviens-toi du sage» (Huaishneg) en mémoire du Prophète, c’est l’une des plus anciennes mosquées du monde.
Les marchands musulmans d’origine arabe ou persane multiplieront les mariages avec les autochtones chinoises et turques ; c’est là l’origine du groupe ethnique hui. L’islamisation des tribus d’origine turque et mongole, dont les Ouïghours du Turkestan oriental, se situe à peu près à la même époque. Elle est liée à la conquête de l’Asie centrale par les Arabes. Toutefois, cette islamisation ne deviendra massive qu’avec la conversion des princes turcs karakhanides (998-1212). Elle sera en outre renforcée par les confréries soufies (Yasawiyya, Qadiriyya et Naqshbandiyya, notamment), dont l’action prosélyte ignore les barrières ethniques. Enfin, sous la domination mongole (XIIIe-XIVe siècles), les musulmans seront favorisés : ils occuperont les plus hautes fonctions dans l’administration comme dans l’armée, et seront à la tête de plusieurs corporations. Ils se signaleront également dans les domaines de la médecine, des mathématiques, de l’astronomie et de l’architecture. C’est à partir du XVIIe siècle, avec l'avènement des Mandchous, que la situation des musulmans commence à se détériorer. Elle s’aggrave de manière significative au XXe siècle où, durant la Révolution culturelle (1966-1976), des millions de musulmans seront persécutés. La période des réformes qui suivra rétablit la liberté de culte : elle est à l’origine de l’épanouissement actuel de l’islam chinois. Cette nette amélioration ne doit toutefois pas faire oublier l’oppression du peuple ouïghour colonisé par les Hans, ni l’instrumentalisation dont fait l’objet la minorité musulmane, destinée à offrir à l’économie chinoise toujours plus de marchés dans les pays musulmans.

Article publié sur Zaman France (18 novembre 2010).

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