mardi 8 juillet 2014

Quand le confessionnalisme libanais ne profite plus aux chrétiens

par Seyfeddine Ben Mansour

Dans une ambiance festive caractéristique de la jeunesse Facebook beyrouthine, les Libanais, jeunes mais aussi moins jeunes, ont manifesté le 6 mars dernier dans les rues de la capitale. Le Liban n’étant pas une dictature, ce n’est pas le départ du président que réclamaient les manifestants, mais «la chute du système confessionnel». Même s’il est encore minoritaire, le mouvement laïque libanais remet en question la structure politique et sociale même du pays. Le Liban repose en effet sur un découpage confessionnel qui touche tant la vie administrative et politique que la vie privée (mariage, divorce, succession, etc.). Dans ce pays arabo-musulman, le président de la république est ainsi nécessairement chrétien, les concours administratifs sont soumis à quota pour chacune des confessions, et le mariage civil n’existe pas, même si l’État libanais reconnaît ceux contractés à l’étranger. Ainsi, chaque année, 2 000 couples mixtes demandent la transcription de leur acte de mariage établi dans la Chypre toute proche…

Un pays, 18 confessions
 

Le Liban est sans doute le pays de la région qui possède la plus grande diversité religieuse : ses 3,8 millions d’habitants se répartissent en plus de vingt communautés confessionnelles. Dix-huit confessions ont un statut officiel. Il s’agit, pour les musulmans, qui représentent plus de 60 % de la population, des chiites (35 %), des sunnites (23 %), des druzes (5 %) et des alaouites (1 %). Les 40 % restant correspondent pour l’essentiel aux communautés chrétiennes : les maronites (24 %), les grecs-orthodoxes (13 %), les arméniens-orthodoxes (2 %). Les autres communautés (jacobites, syriaques, nestoriens, chaldéens-catholiques, catholiques-latins, notamment) sont d’un poids démographique aujourd’hui négligeable.
 
Créer un pays arabe majoritairement chrétien
 

Si la nation libanaise est aujourd’hui une réalité, le Liban n’en est pas moins historiquement une création française. Suite au démantèlement de l’Empire ottoman, la France reçoit un mandat de la Société des Nations sur la Grande Syrie (1920-1943) : elle en isole l'entité autonome du Mont-Liban, à laquelle elle rattache Beyrouth et la plaine de la Bekaa. L’idée est de créer au Proche Orient un État qui soit majoritairement chrétien. Ici encore la France a usé de son droit de protection des chrétiens d’Orient (1535) dans le but d’assurer son influence dans la région. Le système politique choisi, destiné idéalement à assurer un équilibre entre les différentes confessions, visait de fait à pérenniser la prééminence chrétienne, et en particulier maronite. Les chrétiens avaient en effet un avantage démographique (51,2 %, dont 28,8 % de maronites d’après le recensement de 1932), mais surtout social : les communautés chrétiennes possédaient une bourgeoisie dynamique, pour laquelle, en outre, l’attribution des marchés et l’accès aux secteurs économiques rentables étaient facilités. Enfin, l’important réseau des institutions éducatives et hospitalières, dont beaucoup appartiennent à l’Église maronite, participera de manière notable à la promotion des communautés chrétiennes. L’équilibre communautaire, inscrit dans la constitution, concernera, dans les faits, la répartition des hautes fonctions et les postes de la fonction publique, essentiellement : le président doit être chrétien, tandis que le premier ministre et le président de l'Assemblée doivent être respectivement sunnite et chiite. Dans la fonction publique, les postes sont soumis à des quotas censés respecter les proportions démographiques. Entre 1932 et 1996, aucun recensement n’a été fait, de crainte de devoir remettre en cause le statu quo.

Des chrétiens aujourd'hui minoritaires
 

Les chrétiens sont aujourd’hui minoritaires, même s’ils sont encore forts de leur diaspora (estimée à 11 millions d’individus) et de leurs institutions éducatives et hospitalières. Pour la jeunesse laïque, les crises politiques répétées que connaît le pays montrent que ce système communautaire est obsolète et qu’il est aujourd’hui facteur de dissension. Parmi ces jeunes, des chrétiens très pratiquants, tout comme des musulmanes voilées. Tous réclament la suppression du confessionnalisme, obstacle au rapport individuel direct avec l’Etat, rapport qui est pourtant la condition même de la citoyenneté.

Article publié sur Zaman France (18 mars 2011).

Mots clés : communautés, confessions, Musulmans, chiites, sunnites, druzes, alaouites, chrétiens, maronites, Grecs-orthodoxes, arméniens-orthodoxes, jacobites, syriaques, Nestoriens, chaldéens-catholiques, catholiques-latins, démographie, Laicité, Etat, France, SDN, Bekaa, Beyrouth, Eglise, Diaspora, Société des Nations, Grande Syrie, Mont-Liban, Empire Ottoman, Islam des mondes.



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