par Seyfeddine Ben Mansour
La
ville de Turin a annoncé récemment avoir autorisé la construction d’une
mosquée et d’un centre culturel islamique. Un million de musulmans
vivent en Italie, et sont pour la plupart contraints de pratiquer leur
religion dans des caves et des garages. Il n’existe en effet à ce jour
qu’une seule mosquée officielle dans tout le pays, la grande mosquée de
Rome. Le président de l’association porteuse du projet, Abdelaziz
Khounati, semble confiant : cette seconde mosquée consacrera selon lui
une société "ouverte et multiculturelle".
L’Italie a pourtant déjà connu une telle société :
au Moyen Age, la majorité de la population de la Sicile était
musulmane. La tolérance religieuse, modèle politique importé par les
dynasties arabes qui ont régné sur l’île du IXe au XIe
siècle, sera pratiquée par les successeurs chrétiens, les Normands. Ces
Français descendants de Vikings, déjà maîtres de la Normandie et de
l’Angleterre, créent un royaume sans équivalent dans l’histoire de
l’Occident chrétien et qui durera jusqu’au milieu du XIIIe
siècle. L’arabe est en effet la langue maternelle de la majorité,
formée en Sicile par les musulmans et les juifs. C’est aussi la langue
de l’administration, aux côtés du latin et du grec. C’est enfin une
langue de prestige que pratiquent le roi et l’aristocratie. Dans
l’administration du royaume chrétien, comme au sein du gouvernement, les
musulmans sont majoritaires. Ils sont aussi largement présents au sein
de l’armée.
Guillaume Ier, al-Hâdî bi-amr Allâh
Ainsi l’organe essentiel du service financier central créé par Roger II en 1184 est-il appelé diwân al-tahqîq al-ma’mûr ("bureau de vérification"), sékréton en grec, et dohana de secretis en latin. C’est ce mot de dohana, latinisation de l’arabe dîwân, qui est à l’origine de notre "douane". De même pour le mot amîr (prince, chef militaire) qui donnera notre "amiral". Emir
dans la monarchie normande est en effet un titre militaire, ainsi
trouve-t-on l’émir Guillaume Bidon et l’émir des émirs Georges
d’Antioche. Plus tard, ce titre sera réservé aux chefs de la marine de
guerre, d’où son sens actuel en français. Grands admirateurs de la
culture islamique, les rois normands ont le plus grand respect pour les
hommes de science. De passage en Sicile en 1184, le géographe
arabo-espagnol Ibn Jubayr y est accueilli avec chaleur; il est surpris
de constater que ses hôtes normands s’expriment non seulement en arabe,
mais encore avec grâce. Dans sa relation de voyage (Rihla), il
écrit : "Le roi [Guillaume II] compte sur [les musulmans] pour traiter
un grand nombre de ses affaires, y compris les plus importantes." Son
grand-père, Roger II de Sicile, est connu pour avoir appelé à sa cour un
autre savant arabo-espagnol, al-Idrîsî, pour réaliser un grand
planisphère en argent et écrire le commentaire géographique
correspondant, le Kitâb Rujâr (Livre de Roger), l’un
des plus grands traités géographiques du Moyen Age. L’acculturation
arabe, nette dans l’architecture, se manifestait aussi dans les usages
les plus quotidiens, comme en témoigne Ibn Jubayr : "voilées de voiles
aux couleurs variées, parées de bottines brodées d’or, [les chrétiennes]
se pavanent en se rendant à leurs églises". A la tête d’un Etat
prospère ‒ les recettes fiscales de la ville de Palerme dépassaient à
elles seules celles de l’Angleterre normande tout entière ‒, les rois
normands rivalisaient de faste avec les souverains arabes, leurs
modèles. La monnaie d’or frappée à Palerme porte la titulature islamique
de ces rois chrétiens : Roger II est al-Mu‘tazz bi-Llâh, "Exalté par Dieu", son fils Guillaume Ier est, quant à lui, al-Hâdî bi-amr Allâh, "Le Guide par le commandement de Dieu".
L’utilisation de formes islamiques dénote une conception transconfessionnelle de la sacralité royale dans un Etat résolument multiculturel.
L’utilisation de formes islamiques dénote une conception transconfessionnelle de la sacralité royale dans un Etat résolument multiculturel.
Article publié sur Zaman France (08 juillet 2010).
Mots clés : Sicile, Arabe, Islam, Palerme, Roger II, Livre de Roger, al-Idrîsî, Ibn Jubayr, juifs, Musulmans, chrétiens, aghlabides, Fatimides, Normands, Guillaume Bidon, Georges d’Antioche, Islam des mondes.

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