par Seyfeddine Ben Mansour
Le 3 avril dernier, François Garde recevait le Goncourt du premier roman. Ce qu’il advint du sauvage blanc est
inspiré de l’histoire vraie d’un Robinson Crusoé français. Le célèbre
récit de Daniel Defoe partait également d’une histoire vraie. Et son
point de départ était la République de Salé au Maroc, célèbre cité de
corsaires euromusulmans du XVIIe siècle d’où Robinson s’échappera, avant
d’être jeté par la tempête sur une île déserte. Depuis Salé, à bord de
leurs chébecs, petits navires très rapides armés de canons, ils ravagent
les côtes atlantiques de la péninsule ibérique. A bord d’embarcations
plus importantes, des frégates de 200 à 300 tonneaux, ils mènent des
expéditions dans la Manche et la mer du Nord, et jusqu’en Islande. Le
territoire des Salétins décrivait ainsi un vaste arc atlantique allant
des Canaries, au large du Maroc saharien, jusqu’aux îles Féroé entre la
mer de Norvège et l’Atlantique nord, et à l’Islande. L’effroi qu’ils
suscitaient était immense, au point qu’un rituel du diocèse de Coutances
en Normandie disait «Mon Dieu, gardez-nous des Salétins !». Pour
autant, la course était à l’époque un phénomène courant, la forme que
prenait alors le commerce en temps de guerre. De sorte que le
fonctionnement de la course européenne et antillaise à la même époque,
ou encore celle pratiquée par les fameux Chevaliers de Malte, ne
différait guère de celui des Salétins. L’originalité de la cité salétine
se situe ailleurs. Tout d’abord, face à une Europe absolutiste où se
développent des Etats de plus en plus centralisés, les corsaires de Salé
ressuscitent un modèle républicain proche de celui des cités médiévales
de Venise et de Gênes. Ensuite, la population salétine est
essentiellement d’origine européenne, — qu’il s’agisse de la majorité
musulmane, ou de la minorité juive (la minorité chrétienne, constituée
d’esclaves, de commerçants et de diplomates, est, elle, exclusivement
européenne). Dirigée par un diwân, ou cabinet gouvernemental,
lui-même présidé par un Grand amiral, la République de Salé (1627-1668) a
en effet été fondée par des Européens musulmans, les Hornacheros,
installés dès la fin du XVIe siècle.
Musulmans et juifs unis contre l’Espagne
Originaires du sud de l’Espagne, ils avaient anticipé les décrets
d’expulsion de Philippe III, parvenant ainsi à quitter le pays en
emportant leurs biens, qui étaient considérables. Ils seront rejoints
par les Morisques, musulmans convertis de force au catholicisme, puis
finalement expulsés à la suite des décrets de 1609-1610. Retournés à
l’islam, mais pauvres et désarabisés, ils seront d’abord marginalisés,
malgré leur nombre et leur savoir-faire. A partir de mai 1630 néanmoins,
les Morisques pourront élire un caïd, participer à la nomination de la
moitié du gouvernement et bénéficier d’une part des revenus de la
douane. Les finances de la République étaient prospères, alimentées par
le butin, les taxes douanières, le commerce des marchandises dépréciées,
et le travail forcé des captifs ainsi que leur rançonnement. La gestion
des finances publiques comme privées était essentiellement assurée par
les juifs salétins, eux aussi d’origine ibérique. A ces musulmans et ces
juifs qu’unissait le désir de se venger des Espagnols, s’ajoutera une
population de «renégats». Français, Hollandais, Allemands et Anglais
néoconvertis mettront en effet leur savoir-faire maritime et militaire
au service de Salé, de l’islam, et de leur propre ambition. Certains
prétendront aux plus hautes fonctions, à l’instar du Hollandais Jan
Janszoon, alias Murâd Râyis, qui fut Grand amiral de 1623 à 1627,
c’est-à-dire chef de l’exécutif salétin.
Mots clés : Salé, Euromusulman, Espagne, Normandie, Islam des mondes.
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