jeudi 10 juillet 2014

Salé : une République de corsaires euromusulmans

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 3 avril dernier, François Garde recevait le Goncourt du premier roman. Ce qu’il advint du sauvage blanc est inspiré de l’histoire vraie d’un Robinson Crusoé français. Le célèbre récit de Daniel Defoe partait également d’une histoire vraie. Et son point de départ était la République de Salé au Maroc, célèbre cité de corsaires euromusulmans du XVIIe siècle d’où Robinson s’échappera, avant d’être jeté par la tempête sur une île déserte. Depuis Salé, à bord de leurs chébecs, petits navires très rapides armés de canons, ils ravagent les côtes atlantiques de la péninsule ibérique. A bord d’embarcations plus importantes, des frégates de 200 à 300 tonneaux, ils mènent des expéditions dans la Manche et la mer du Nord, et jusqu’en Islande. Le territoire des Salétins décrivait ainsi un vaste arc atlantique allant des Canaries, au large du Maroc saharien, jusqu’aux îles Féroé entre la mer de Norvège et l’Atlantique nord, et à l’Islande. L’effroi qu’ils suscitaient était immense, au point qu’un rituel du diocèse de Coutances en Normandie disait «Mon Dieu, gardez-nous des Salétins !». Pour autant, la course était à l’époque un phénomène courant, la forme que prenait alors le commerce en temps de guerre. De sorte que le fonctionnement de la course européenne et antillaise à la même époque, ou encore celle pratiquée par les fameux Chevaliers de Malte, ne différait guère de celui des Salétins. L’originalité de la cité salétine se situe ailleurs. Tout d’abord, face à une Europe absolutiste où se développent des Etats de plus en plus centralisés, les corsaires de Salé ressuscitent un modèle républicain proche de celui des cités médiévales de Venise et de Gênes. Ensuite, la population salétine est essentiellement d’origine européenne, — qu’il s’agisse de la majorité musulmane, ou de la minorité juive (la minorité chrétienne, constituée d’esclaves, de commerçants et de diplomates, est, elle, exclusivement européenne). Dirigée par un diwân, ou cabinet gouvernemental, lui-même présidé par un Grand amiral, la République de Salé (1627-1668) a en effet été fondée par des Européens musulmans, les Hornacheros, installés dès la fin du XVIe siècle. 
 
Musulmans et juifs unis contre l’Espagne
 
Originaires du sud de l’Espagne, ils avaient anticipé les décrets d’expulsion de Philippe III, parvenant ainsi à quitter le pays en emportant leurs biens, qui étaient considérables. Ils seront rejoints par les Morisques, musulmans convertis de force au catholicisme, puis finalement expulsés à la suite des décrets de 1609-1610. Retournés à l’islam, mais pauvres et désarabisés, ils seront d’abord marginalisés, malgré leur nombre et leur savoir-faire. A partir de mai 1630 néanmoins, les Morisques pourront élire un caïd, participer à la nomination de la moitié du gouvernement et bénéficier d’une part des revenus de la douane. Les finances de la République étaient prospères, alimentées par le butin, les taxes douanières, le commerce des marchandises dépréciées, et le travail forcé des captifs ainsi que leur rançonnement. La gestion des finances publiques comme privées était essentiellement assurée par les juifs salétins, eux aussi d’origine ibérique. A ces musulmans et ces juifs qu’unissait le désir de se venger des Espagnols, s’ajoutera une population de «renégats». Français, Hollandais, Allemands et Anglais néoconvertis mettront en effet leur savoir-faire maritime et militaire au service de Salé, de l’islam, et de leur propre ambition. Certains prétendront aux plus hautes fonctions, à l’instar du Hollandais Jan Janszoon, alias Murâd Râyis, qui fut Grand amiral de 1623 à 1627, c’est-à-dire chef de l’exécutif salétin.

Article publié sur Zaman France (13 avril 2012).

Mots clés : Salé, Euromusulman, Espagne, Normandie, Islam des mondes.


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