par Seyfeddine Ben Mansour
Dans une vidéo postée sur YouTube le 28 mars dernier, deux
responsables salafistes français, Roumi Hossein Abou Daniel, président
de l’association Nouvelle optique et Othman Abou Laith, membre de
l’Institut Sunnah, publiaient un communiqué condamnant les tueries de
Toulouse et Montauban, tueries qu’«aucune religion ne peut permettre».
Entre le 11 et le 19 mars en effet, sept personnes — trois musulmans et
quatre juifs âgés de 4 à 30 ans — ont été sauvagement abattus par
Mohamed Merah, 23 ans, un salafiste français appartenant à la mouvance
jihadiste. En France, les salafistes seraient au nombre de 12.000 sur un
total de 6 millions de musulmans, soit environ 0,2 %. Un quart à un
tiers d’entre eux, soit entre 3.000 et 4.000 individus, sont des
néoconvertis issus du catholicisme ou du protestantisme. Comme ailleurs
dans le monde, l’écrasante majorité des salafistes appartiennent au
courant quiétiste, qui refuse l’action armée et se désintéresse de la
chose politique, se consacrant essentiellement à la prédication (da’wa).
Dans l’Hexagone, ce courant représente 95 % des ultra-orthodoxes. Les 5
% restant, soit 600 individus environ, se partagent entre salafistes
politiques et salafistes jihadistes. Seuls les derniers prônent la lutte
armée. Il n’existe pas de structure organisationnelle qui réunisse ces
trois courants, qui, par ailleurs, n’hésitent pas à se rejeter les uns
les autres. S’ils divergent quant aux moyens de hâter l’avènement de
l’Etat islamique, les unit néanmoins l’idée que l’islam, loin de se
réduire à sa dimension religieuse, est un système global qui régit
l’ensemble des domaines de la vie, qu’ils soient d’ordre sacré ou
profane. En cela, ils sont proches des Frères musulmans, dont ils
rejettent néanmoins la prétention à intégrer au patrimoine islamique des
valeurs qui lui seraient étrangères : celles, conçues comme
intrinsèquement occidentales, de la démocratie.
Ibn Hanbal et Ibn Taymiyya
Car les salafistes se veulent fidèles au modèle absolu que constituent les Pieux prédécesseurs, les aslâf,
les trois premières générations de musulmans : le Prophète et ses
compagnons — dont les quatre premiers califes Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân
et ‘Alî —, leurs successeurs (at-Tâbi‘ûn) et les successeurs de leurs successeurs (Tâbi‘û at-Tâbi‘în).
De par leur piété exemplaire et leur valeur militaire, ces Aslâf ont
été à l’origine d’un vaste empire s’étendant des rives de l’Atlantique à
la vallée de l’Indus. Raisonnant par induction, les salafistes
établissent une relation de cause à effet entre éthique de la piété et
succès militaro-politiques à l’origine du rayonnement et de l’extension
de l’islam. Cette idée, — qui balaie toutes les considérations d’ordre
économique, politique ou social à même de rendre compte des processus
historiques —, n’est pas neuve. Elle est apparue une première fois au
IXe siècle dans un contexte de crise. Elle réapparaîtra à chaque fois
pour la même raison. Le premier à avoir théorisé cette idée est le
théologien Ahmad Ibn Hanbal (780-855). Son propos s’inscrit dans un
contexte de crise politico-doctrinaire, qui voit le califat aux prises
avec les hétérodoxies kharijites et chiites. La théorie sera reprise par
le théologien hanbalite Ibn Taymiyya (1263-1328), à une époque où le
califat abbasside a disparu sous les coups des Mongols, et où la Syrie
subit les raids de leur branche ilkhanide (1300-1304). Au XVIIIe siècle
enfin, le fondateur du wahhabisme, Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhâb
(1720-1792), adoptera la même lecture pour expliquer la décadence de
l’Empire ottoman et la montée en puissance d’un Occident prédateur,
conséquences directes de la trahison de la lettre du Coran…
Mots clés : salafisme, Islam des mondes.
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