par Seyfeddine Ben Mansour
Le 7 octobre dernier, la chaîne privée tunisienne Nessma a diffusé Persepolis,
un dessin animé franco-iranien réalisé par Marjane Satrapi. Une scène
du film particulièrement a provoqué une vive polémique qui a dégénéré en
violence : Dieu y était en effet représenté sous la forme d’un
vieillard à barbe blanche. Nombre de Tunisiens y ont vu un blasphème ;
«Il n’y a rien qui Lui ressemble» affirme le Coran (XLII : 11). Si, en
islam, le statut de la représentation peut varier, — dans l’espace et
dans le temps, d’une branche à l’autre (sunnisme / chiisme), d’un
domaine à l’autre (sacré / profane) — la représentation de Dieu, elle,
ne souffre aucune exception : elle est proscrite. Elle ressortit au
principe selon lequel un esprit fini ne saurait, par définition,
assigner une forme à l’Etre parfait. Le Dieu unique est aussi un Dieu
sans images. Monothéisme épuré, l’islam s’oppose à l’idolâtrie et au
polythéisme, formes répandues dans l’Arabie anté-islamique, et que le
Coran condamne d’un même mouvement : entrant dans la Kaaba dix ans après
l’Hégire (622), le Prophète détruira les 360 idoles qu’elle abritait.
Ainsi la figuration en islam est-elle d’emblée frappée de suspicion :
inutile comme support de la croyance, elle risque au surplus d’en
éloigner le fidèle. L’interdiction touche essentiellement le domaine du
sacré, et est limitée aux formes représentant des êtres qui respirent :
humains et animaux. En représentant des formes auxquelles Dieu peut
insuffler la vie, celui qui dessine (musawwar, en arabe) fait preuve d’une immodestie blasphématoire vis-à-vis de son Créateur, de Celui qui donne forme, al-Musawwar,
autre sens du mot, et un des 99 attributs de Dieu. Le décor sculpté des
façades du palais omeyyade de Mushattâ en Jordanie (744) est, à cet
égard, très instructif. L’édifice, dont l’ordonnance est homogène,
comporte en effet un espace sacré : la mosquée, et un espace profane :
la demeure du prince. Tandis que la première n’arbore que des motifs
floraux, la seconde y ajoute des animaux, des monstres, et mêmes de
petits personnages, figures qui représentent donc des êtres qui respirent…
«Une chance» et un «stimulant» pour l’art islamique
Ces fortes contraintes qui pèsent sur la
figuration limiteront le développement de cette dernière, même dans le
domaine du profane. La sculpture est ainsi quasi absente. La chose a
néanmoins été une «chance» pour l’art islamique, «un puissant
stimulant», comme le souligne l’historien de l’Art Jean-François
Clément, à l’origine du développement de l’abstraction géométrique et de
la calligraphie, fondant ainsi une esthétique originale d’un grand
raffinement. La figuration artistique se sera néanmoins développée,
quoique hors du domaine arabe, qui ne connaissait que la figuration
scientifique (illustration de traités). Liée au mécénat aristocratique,
elle se développera dans le domaine persan, puis turc et indien, les
souverains ottomans et moghols prenant en modèle l’Iran. Il s’agit
essentiellement de miniatures ornant des livres somptueux, à caractère
historique, littéraire, voire scientifique. Ils sont produits du XIIe au XIVe siècles dans les kitâb khâna ou
«ateliers du livre». Les scènes constituent pour l’essentiel une
évocation de la vie quotidienne des cours, et notamment les situations
qui composent les plaisirs princiers. Elles n’excluent pas pour autant
la peinture de scènes religieuses. Les prophètes y étaient ainsi
représentés, au fil des siècles, la tête entourée d’un nimbe de flammes
d’or, puis derrière un voile protecteur, avant de disparaître,
symbolisés seulement par une gerbe de feu ; dans les manuscrits
cachemiris du XIXe siècle, leurs silhouettes ne sont plus que flammes d’or.
Mots clés : figuration, Coran, procrite, chiite, sunnite, motifs floraux, motifs géométriques, personnages, Islam des mondes.
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