mercredi 9 juillet 2014

Le papier arabe, premier média de masse au Moyen âge

par Seyfeddine Ben Mansour

Du trois au 5 octobre dernier s’est tenu à São Paulo la 44e édition de l’Exposition et congrès internationaux sur la pâte et le papier, réunissant plus de 160 exposants venus des quatre coins du monde. Puissance montante, le Brésil consolide aujourd’hui sa position parmi les leaders du marché, reprenant le flambeau d’une industrie millénaire, née en Chine au IIIe siècle avant notre ère. A partir du VIIIe siècle, et durant plus de six cents ans au moins, l’histoire du papier deviendra musulmane, s’étendant de la Perse aux rives de l’Atlantique. Elle commence à Talas en 751, dans le Khorassan (nord-est de l’Iran actuel), à la faveur d’une victoire militaire. Ce sont en effet des prisonniers de guerre chinois qui introduiront l’industrie de la papeterie à Samarkand, qui en restera longtemps la capitale. Mais les Arabes connaissaient l’usage du papier avant d’être en mesure de le produire. Dans son Livre des animaux, al-Jâhidh rapporte en effet que Musaylima ibn Thimâma, — surnommé par le Prophète « Musaylima l’Imposteur » (Musaylima al-kadhdhâb) — voulant faire croire à une apparition, avait fabriqué un cerf-volant « avec du papier chinois (waraq sînî) et du kâghad », le kâghad étant également une variété de papier. Dès le IXe siècle, les premières fabriques s’installent à Bagdad, capitale de l’Empire. Le mouvement se poursuivra vers l’Ouest jusqu’à gagner l’Espagne musulmane, notamment Játiva (1054) et Tolède (1085), et le Maroc où, à Fès, entre 1221 et 1240, on ne dénombre pas moins de 400 fabriques de papier.

Le papier, pilier de la civilisation islamique
 
Il faut dire que les besoins en papier sont très importants au sein du monde musulman qui en fait une grande consommation : livres, registres, papier à lettre, mais aussi, déjà, papier d’emballage utilisé par les épiciers, les droguistes et les quincaillers. De fait, la production de papier a joué un rôle économique très important. La concurrence commerciale était sans merci. Elle est à l’origine de l’amélioration des techniques de fabrication, notamment par incorporation de chiffons à la préparation. D’où, lorsque la France se mettra à son tour à produire du papier, au milieu du XIIIe siècle, l’expression « se battre comme des chiffonniers » : matière désormais très demandée, les chiffons faisaient l’objet d’âpres disputes. La concurrence est également à l’origine du développement, comme de nos jours, d’une grande variété de formes et de couleurs (blanc, bleu pâle, violet, rose, rouge, jaune, vert, …), mais aussi d’une baisse du prix de revient qui a rendu le papier relativement accessible. Car le rôle le plus important qu’a joué le papier est celui de média : c’est, de fait, le premier grand média de masse de l’histoire de l’humanité. Matériellement accessible, techniquement disponible, il va puissamment contribuer à la diffusion de l’écrit, et par là même, au développement de la civilisation islamique dans son ensemble. Au moment de son sac par les armées mongoles d’Houlagou Khan en 1258, Bagdad comptait ainsi pas moins de 36 bibliothèques publiques. C’est durant ce même XIIIe siècle que le savoir-faire arabe commence à se déplacer vers l’Occident chrétien : d’al-Andalus, il passe en Espagne chrétienne, et de là en Italie. Emules des Arabes, les Italiens n’auront de cesse d’améliorer la technique de fabrication du papier. Dès le début du XIVe siècle, ils auront les moyens de produire davantage, plus vite et moins cher : le papier arabe disparaîtra, en un peu plus d’un siècle et demi en Occident, et en deux ou trois siècles au Proche-Orient. A partir du XVIe siècle, la plupart des manuscrits arabes sont désormais copiés sur des papiers italiens.

Article publié sur Zaman France (13 octobre 2011).

Mots clés : Islam des mondes.

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