lundi 7 juillet 2014

L’Algérie ottomane, puissance maritime de l’Empire

par Seyfeddine Ben Mansour

L’université Emir Abdelkader d’Alger a abrité du 28 au 30 novembre derniers, un colloque international sur le thème «L’Algérie et le monde ottoman».
D’éminents spécialistes de l’histoire de l’empire ottoman ont parcouru, sous des angles divers, les quelques quatre siècles durant lesquels l’Algérie a été une province de la Sublime Porte, le sandjak de Gezayir-i Garp. L’Algérie ottomane est souvent réduite à une nation de corsaires. La réalité est qu’au XVIIe siècle, le «Royaume d’Alger» des correspondances diplomatiques occidentales est le premier exportateur mondial de blé, et que sa redoutable flotte de guerre a, en 1689, défait la flotte hollandaise dans la Manche. Cette puissance, l’Algérie la devra notamment au fait d’être devenue un Etat, c’est-à-dire, en dernière analyse, au fait de s’être constituée vassale de l’Empire ottoman. Tout commence en 1514 avec l’arrivée à Alger des frères Barberousse, quatre corsaires ottomans originaires de Grèce. Le cheikh d’Alger Salim El Toumi avait sollicité leur aide contre les Espagnols qui tenaient déjà Oran, Bougie, Mers El Kébir, ainsi qu’un fort construit sur les îlots devant Alger, le Peñon. Aidé de ses frères, l’aîné, Baba Oruç («Barberousse» ; Oruç Reis, de son vrai nom), s’empare tour à tour de Djidjelli, Cherchell, Ténès, Tlemcen et Alger, où il étrangle le cheikh El Toumi de ses propres mains, avant de s’emparer du pouvoir. Mais il est bientôt tué par les Espagnols. Son cadet, Kheyreddine, devant la menace conjuguée des Espagnols et du voisin marocain, se place sous la suzeraineté de la Sublime Porte. Le Sultan lui accorde le titre de beylerbey — la plus haute charge dans une province de l’Empire —, 2.000 janissaires, ainsi que de l’artillerie. Il lui accorde en outre la suzeraineté sur les pachaliks de Tunisie et de Tripolitaine (Libye actuelle). Dès lors, après la mer Noire, la mer Égée et l’est de la Méditerranée, véritables lacs turcs, c’est une partie du bassin occidental de la Mare nostrum, jusqu’alors dominé par les marines chrétiennes, qui bascule dans le giron de l’Empire. La solide organisation administrative des sandjaks (provinces) d’Alger, de Tunis et de Tripoli, la constitution d’une puissante flotte à Alger, et, dans une moindre mesure, à Tunis, allait permettre au Maghreb ottoman de participer, par le biais de la course, du commerce, de la guerre et de la diplomatie, au «concert européen». En 1529, Kheyreddine prend le Peñon, et relie les îles à la côte. Il créait ainsi le fameux port d’Alger, qui, trois siècles durant, sera la hantise des marines chrétiennes. Par sa position, il commandait en effet les communications dans le bassin occidental de la Méditerranée. La lutte contre Alger allait devenir ainsi une des préoccupations majeures de Charles-Quint : en 1541, à la tête d’une puissante armada, l’empereur espagnol mènera en personne une expédition qui très vite tournera au désastre. La résistance victorieuse d’Alger vaudra à la ville, pour longtemps, une solide réputation d’invulnérabilité. La défaite des Habsbourg aura aussi fait le jeu des Français, alliés stratégiques de l’Empire ottoman. Soliman le Magnifique avait en effet accordé des avantages commerciaux aux Français, appelées «capitulations». Certains de ses articles étaient d’ailleurs désapprouvés par les dirigeants d’Alger, comme le respect des navires français et le monopole de la pêche du corail sur les côtes du Constantinois. Cependant le Beylerbey veillait à ce que les directives d’Istanbul soient appliquées. Cette allégeance deviendra au fil du temps de plus en plus nominale. Ainsi, en 1690, Louis XIV, conscient à la fois de l’importance militaire et commerciale du «royaume d’Alger», y nomma un ambassadeur permanent, — mais avec rang de consul, afin de ne pas heurter la Sublime Porte. C’est à partir du XVIIIe siècle que le sandjak d’Alger, à l’image du reste de l’Empire, commencera à décliner. En 1830, la prise d’Alger par la France ne suscitera tout au plus que quelques protestations du Sultan, purement formelles.


Article publié sur Zaman France (02 décembre 2010).

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