par Seyfeddine Ben Mansour
Les 17 et 18 septembre derniers, dans le cadre des Journées européennes
du patrimoine, la ville de Brioude a organisé des visites guidées de la
Basilique Saint-Julien. Il s’agissait notamment de mettre en valeur les
influences multiples à l’origine de ce monument de l’art roman des
XIe-XIIe siècles, parmi lesquelles celle de l’art mozarabe, art
d’essence islamique propre aux chrétiens arabisés d’Espagne.A partir de
la seconde moitié du IXe siècle en effet, se forme en Andalousie
musulmane une culture chrétienne de langue arabe. Si l’ensemble de la
population indigène s’est rapidement acculturé à l’arabité dominante,
une partie néanmoins conservera sa religion. Les Mozarabes (musta’rab, «
arabisé ») parlent, écrivent, pensent en arabe, de même qu’ils
s’habillent et, sous bien des aspects, se conduisent comme leurs
compatriotes juifs ou musulmans. Leurs noms mêmes sont partiellement ou
totalement arabisés, à l’image de Domingo Ibn ‘Abd Allâh, archiprêtre de
la cathédrale de Tolède au XIIe siècle. Contrairement à leurs
coreligionnaires de Navarre et d’Aragon, de rite romain, ils sont restés
fidèles à l’ancien rite wisigothique, avec néanmoins l’arabe pour
langue liturgique. Au XIIe siècle, l’intolérance de la dynastie berbère
almohade les contraindra à fuir vers les royaumes chrétiens du Nord. Ils
mettront alors à leur service leur haute technicité dans le domaine
agricole comme dans celui des arts et des techniques.
Allâh au fronton de l’église
Allâh au fronton de l’église
Mais
dès le Xe siècle déjà, l’art mozarabe avait commencé à essaimer en pays
catalan et, au-delà des Pyrénées, le long des routes que suivaient les
pèlerins de Compostelle. Il s’agit de bronzes, d’ivoires et de pièces
orfévrées, mais surtout d’œuvres architecturales. Ainsi l’église de
Saint-Michel de Cuxa, dans les Pyrénées-Orientales, qui date de 975.
Avec ses arcs outrepassés – en fer à cheval – et ses murs aux angles
desquels alternent carreaux et boutisses, elle est le plus ancien
exemple de l’influence mozarabe, et par là même islamique, dans l’art
français. Postérieur d’environ un demi-siècle, le linteau qui surmonte
l’église de Saint Génis-des-Fontaines – 1020, Pyrénées-Orientales – est
très clairement d’inspiration, sinon de facture mozarabe. Cette
influence peut se manifester dans la structure même des petites églises
romanes de la région. Leurs clochers, en effet, élevés sur une base
carrée, détachés de la nef et élancés, sont ornés de petites ouvertures
en arc sur le modèle des églises mozarabes, qui est aussi, aux
proportions près, celui du minaret de la mosquée Kutubiyya à Marrakech
(1160). De même ces éléments qui rappellent chacun la mosquée de Cordoue
: les arcs en forme de trèfles dans le triforium du transept de
l’abbaye à Cluny en Bourgogne (1080), les arcatures polylobées du
clocher de Notre-Dame à La Charité-sur-Loire (1070), la façade
polychrome, les sculptures sans relief, les arcs superposés et ceux
alternant claveaux rouges et blancs de la cathédrale de Notre Dame du
Puy-en-Velay (XIe), etc. Mais sans doute le signe le plus explicite
est-il simplement le nom même d’Allâh… On relève ainsi deux inscriptions
en arabe dans lesquelles figure le monogramme de Dieu, gravé en
caractères coufiques : le premier sur un linteau de l’ancienne église de
Lamalou-les-Bains, dans l’Hérault, et le second sur une porte en bois
de la cathédrale de Notre Dame du Puy-en-Velay en Haute-Loire.
Mots clés : Lamalou-les-Bains, Brioude, Saint-Michel, Marrakech, Saint-Julien, Cluny, Navarre, Bourgogne, Charité-sur-Loire, Domingo Ibn, Michel de Cuxa, France, Islam des mondes.
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