mercredi 9 juillet 2014

Art mozarabe : l’héritage islamique des Eglises de France

par Seyfeddine Ben Mansour

Les 17 et 18 septembre derniers, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, la ville de Brioude a organisé des visites guidées de la Basilique Saint-Julien. Il s’agissait notamment de mettre en valeur les influences multiples à l’origine de ce monument de l’art roman des XIe-XIIe siècles, parmi lesquelles celle de l’art mozarabe, art d’essence islamique propre aux chrétiens arabisés d’Espagne.A partir de la seconde moitié du IXe siècle en effet, se forme en Andalousie musulmane une culture chrétienne de langue arabe. Si l’ensemble de la population indigène s’est rapidement acculturé à l’arabité dominante, une partie néanmoins conservera sa religion. Les Mozarabes (musta’rab, « arabisé ») parlent, écrivent, pensent en arabe, de même qu’ils s’habillent et, sous bien des aspects, se conduisent comme leurs compatriotes juifs ou musulmans. Leurs noms mêmes sont partiellement ou totalement arabisés, à l’image de Domingo Ibn ‘Abd Allâh, archiprêtre de la cathédrale de Tolède au XIIe siècle. Contrairement à leurs coreligionnaires de Navarre et d’Aragon, de rite romain, ils sont restés fidèles à l’ancien rite wisigothique, avec néanmoins l’arabe pour langue liturgique. Au XIIe siècle, l’intolérance de la dynastie berbère almohade les contraindra à fuir vers les royaumes chrétiens du Nord. Ils mettront alors à leur service leur haute technicité dans le domaine agricole comme dans celui des arts et des techniques.

Allâh au fronton de l’église
 
Mais dès le Xe siècle déjà, l’art mozarabe avait commencé à essaimer en pays catalan et, au-delà des Pyrénées, le long des routes que suivaient les pèlerins de Compostelle. Il s’agit de bronzes, d’ivoires et de pièces orfévrées, mais surtout d’œuvres architecturales. Ainsi l’église de Saint-Michel de Cuxa, dans les Pyrénées-Orientales, qui date de 975. Avec ses arcs outrepassés – en fer à cheval – et ses murs aux angles desquels alternent carreaux et boutisses, elle est le plus ancien exemple de l’influence mozarabe, et par là même islamique, dans l’art français. Postérieur d’environ un demi-siècle, le linteau qui surmonte l’église de Saint Génis-des-Fontaines – 1020, Pyrénées-Orientales – est très clairement d’inspiration, sinon de facture mozarabe. Cette influence peut se manifester dans la structure même des petites églises romanes de la région. Leurs clochers, en effet, élevés sur une base carrée, détachés de la nef et élancés, sont ornés de petites ouvertures en arc sur le modèle des églises mozarabes, qui est aussi, aux proportions près, celui du minaret de la mosquée Kutubiyya à Marrakech (1160). De même ces éléments qui rappellent chacun la mosquée de Cordoue : les arcs en forme de trèfles dans le triforium du transept de l’abbaye à Cluny en Bourgogne (1080), les arcatures polylobées du clocher de Notre-Dame à La Charité-sur-Loire (1070), la façade polychrome, les sculptures sans relief, les arcs superposés et ceux alternant claveaux rouges et blancs de la cathédrale de Notre Dame du Puy-en-Velay (XIe), etc. Mais sans doute le signe le plus explicite est-il simplement le nom même d’Allâh… On relève ainsi deux inscriptions en arabe dans lesquelles figure le monogramme de Dieu, gravé en caractères coufiques : le premier sur un linteau de l’ancienne église de Lamalou-les-Bains, dans l’Hérault, et le second sur une porte en bois de la cathédrale de Notre Dame du Puy-en-Velay en Haute-Loire.

Article publié sur Zaman France (17 août 2011).

Mots clés : Lamalou-les-Bains, Brioude, Saint-Michel, Marrakech, Saint-Julien, Cluny, Navarre, Bourgogne, Charité-sur-Loire, Domingo Ibn, Michel de Cuxa, France, Islam des mondes.

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