par Seyfeddine Ben Mansour
Des touristes musulmans ont prié le 1er avril dernier dans ce qui fut la Grande mosquée de Cordoue, aujourd’hui une cathédrale. A la demande de l’évêché, la police est intervenue pour les expulser. Les affrontements qui ont suivi ont conduit à l’interpellation de deux jeunes gens.
Fait divers sans importance, mais qui rappelle en négatif ce que fut l’Espagne musulmane : une société médiévale qui garantissait la liberté de culte, et où les juifs et les chrétiens pouvaient accéder aux plus hautes fonctions.
Comme son pendant oriental, la mosquée Ayasofya d’Istanbul, l’actuelle cathédrale de Cordoue symbolise à la fois l’affrontement et la continuité entre christianisme et islam : tandis qu’à la faveur de la Reconquista la mosquée de Cordoue devenait cathédrale au XIIIe siècle, la prise de Constantinople au XVe convertissait en mosquée la basilique Sainte-Sophie…
Conquise par les armées musulmanes en 711, la péninsule ibérique va abriter jusqu’en 1492 une société islamique florissante — Al-Andalus —, faisant de cette partie de l’Europe médiévale, et durant près de huit siècles, un foyer de haute culture. Ainsi est-ce via l’Espagne que les sciences, les arts et les techniques développées par les Arabes parviendront en Europe. Une ville comme Cordoue donnera Averroès, l’un des grands noms de la philosophie universelle, et Maïmonide, théologien et philosophe, et l'une des figures majeures du judaïsme. C’est d’ailleurs en Espagne, à l’ombre de l’islam, que le judaïsme connaître son Age d’or (Xe -XIIe s.).
Savants et lettrés des trois religions sont nombreux, et collaborent ensemble, comme l’illustre la traduction de l’Historia adversus paganos par un musulman et un chrétien, Qasim Ibn Asbagh et Walid Ibn Khayzaran. Dans les cours royales, médecins et administrateurs non-musulmans entourent le prince, à l’instar du juif Joseph Abu Hussein Ibn Nagrela, qui fut premier ministre de Grenade (m. 1066).
Dhimmis, c'est-à-dire littéralement «protégés», chrétiens et juifs ont, de par la loi islamique, le droit d’exercer librement leur culte. Ils sont aussi soumis à des impôts spéciaux (jizya et kharâj), qui sont plus contraignants. La coexistence de différentes communautés religieuses pouvait ne pas se faire sans heurts. Ainsi, sous le règne de Abd al-Rahman II (VIIIe s.), le juge Yahya Ibn Yahya critiqua sévèrement le caractère ostentatoire des fêtes chrétiennes… et la présence de musulmans, qui reçoivent et offrent des cadeaux aux chrétiens !
Si un rapprochement avec notre époque est tentant, il faut néanmoins savoir relativiser. Les Etats médiévaux en effet, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, se légitiment au nom d'une religion universaliste et eschatologique, où seuls ceux qui sont dans la voie droite peuvent accéder au salut. Dans ce contexte, la tolérance (quand elle existe, comme chez les musulmans), n’est en réalité aux yeux du groupe dominant qu’un «aménagement raisonnable» : conforme au droit musulman (sharî‘a), il permet une cohabitation temporaire, en attendant le jour du Jugement dernier où Dieu reconnaîtra les siens…
La tolérance telle que nous l’entendons aujourd’hui est, de fait, une idée étrangère non seulement au Moyen âge, mais encore à toute collectivité antérieure à la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le concept islamique de protection (dhimma) qui constitue une véritable nouveauté : les minorités juives et chrétiennes jouissaient en Al-Andalus d’un statut de «protection» infiniment meilleur que celui des juifs de l’Europe médiévale.
Mais si le mythe moderne d’une Espagne modèle de convivialité existe, et qu’il continue de fonctionner, c’est que sans doute notre époque en a besoin. Comme d’un modèle idéal qui aurait pour lui la caution de l’Histoire. Disponible, il est opposable à toutes les théories du «choc des civilisations», à toutes les formes de racisme, à tout ce qui, en un mot, nie le vivre ensemble.
Fait divers sans importance, mais qui rappelle en négatif ce que fut l’Espagne musulmane : une société médiévale qui garantissait la liberté de culte, et où les juifs et les chrétiens pouvaient accéder aux plus hautes fonctions.
Comme son pendant oriental, la mosquée Ayasofya d’Istanbul, l’actuelle cathédrale de Cordoue symbolise à la fois l’affrontement et la continuité entre christianisme et islam : tandis qu’à la faveur de la Reconquista la mosquée de Cordoue devenait cathédrale au XIIIe siècle, la prise de Constantinople au XVe convertissait en mosquée la basilique Sainte-Sophie…
Conquise par les armées musulmanes en 711, la péninsule ibérique va abriter jusqu’en 1492 une société islamique florissante — Al-Andalus —, faisant de cette partie de l’Europe médiévale, et durant près de huit siècles, un foyer de haute culture. Ainsi est-ce via l’Espagne que les sciences, les arts et les techniques développées par les Arabes parviendront en Europe. Une ville comme Cordoue donnera Averroès, l’un des grands noms de la philosophie universelle, et Maïmonide, théologien et philosophe, et l'une des figures majeures du judaïsme. C’est d’ailleurs en Espagne, à l’ombre de l’islam, que le judaïsme connaître son Age d’or (Xe -XIIe s.).
Savants et lettrés des trois religions sont nombreux, et collaborent ensemble, comme l’illustre la traduction de l’Historia adversus paganos par un musulman et un chrétien, Qasim Ibn Asbagh et Walid Ibn Khayzaran. Dans les cours royales, médecins et administrateurs non-musulmans entourent le prince, à l’instar du juif Joseph Abu Hussein Ibn Nagrela, qui fut premier ministre de Grenade (m. 1066).
Dhimmis, c'est-à-dire littéralement «protégés», chrétiens et juifs ont, de par la loi islamique, le droit d’exercer librement leur culte. Ils sont aussi soumis à des impôts spéciaux (jizya et kharâj), qui sont plus contraignants. La coexistence de différentes communautés religieuses pouvait ne pas se faire sans heurts. Ainsi, sous le règne de Abd al-Rahman II (VIIIe s.), le juge Yahya Ibn Yahya critiqua sévèrement le caractère ostentatoire des fêtes chrétiennes… et la présence de musulmans, qui reçoivent et offrent des cadeaux aux chrétiens !
Si un rapprochement avec notre époque est tentant, il faut néanmoins savoir relativiser. Les Etats médiévaux en effet, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, se légitiment au nom d'une religion universaliste et eschatologique, où seuls ceux qui sont dans la voie droite peuvent accéder au salut. Dans ce contexte, la tolérance (quand elle existe, comme chez les musulmans), n’est en réalité aux yeux du groupe dominant qu’un «aménagement raisonnable» : conforme au droit musulman (sharî‘a), il permet une cohabitation temporaire, en attendant le jour du Jugement dernier où Dieu reconnaîtra les siens…
La tolérance telle que nous l’entendons aujourd’hui est, de fait, une idée étrangère non seulement au Moyen âge, mais encore à toute collectivité antérieure à la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le concept islamique de protection (dhimma) qui constitue une véritable nouveauté : les minorités juives et chrétiennes jouissaient en Al-Andalus d’un statut de «protection» infiniment meilleur que celui des juifs de l’Europe médiévale.
Mais si le mythe moderne d’une Espagne modèle de convivialité existe, et qu’il continue de fonctionner, c’est que sans doute notre époque en a besoin. Comme d’un modèle idéal qui aurait pour lui la caution de l’Histoire. Disponible, il est opposable à toutes les théories du «choc des civilisations», à toutes les formes de racisme, à tout ce qui, en un mot, nie le vivre ensemble.
Article publié le sur Zaman France (22 avril 2010).
Mots clés : Walid Ibn Khayzaran, Yahya Ibn Yahya, Qasim Ibn Asbagh, Joseph Abu Hussein Ibn Nagrela, Istanbul, Cordoue, Europe, Espagne, Andalus, Islam, judaïsme, christianisme, tolerance, ahl al-dhimma, jizya, kharâj, Islam des mondes.

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