jeudi 10 juillet 2014

Islam-christianisme : du face-à-face au côte-à-côte

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 13 décembre, s’est tenue à Paris une soirée-débat intitulée « Jusqu’où peut aller le dialogue islamo-chrétien ? » Elle était animée par le père Christophe Roucou, directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques de France, et par l’imam Saïd Ali Kousay, coprésident du Groupe d’amitié islamo-chrétien (GAIC) et membre du Comité interreligieux de la Famille franciscaine. Le dialogue interreligieux, et notamment islamo-chrétien, est un phénomène très récent, qui ne remonte guère au-delà des années 1960, même si, en la matière, l’Histoire la plus ancienne peut sans doute être convoquée... Ibn Hishâm, biographe du Prophète, rapporte en effet qu’en l’an 10 (631 apr. J.-C.), une délégation de soixante chrétiens conduite par l’évêque Abû al-Hârith et le vicaire ‘Abd al-Masîh vint à Médine en provenance de Najrân (Nord du Yémen). Le Prophète leur offrit l’hospitalité, les invitant à célébrer la messe dans la mosquée (la première de l’islam). S’en est suivie une discussion d’ordre théologique sur la nature du Christ, dialogue islamo-chrétien avant la lettre. L’échange est décrit par Ibn Hishâm comme « aimable » ; « Ne discute avec les Gens du Livre que de la manière la plus courtoise », affirme du reste un verset du Coran (XXIX : 46). L’Histoire, néanmoins, allait entraîner le christianisme et l’islam dans un face-à-face militaire, religieux, politique et idéologique qui prévaudra des siècles durant. Le dialogue même, lorsqu’il existe, prend la forme guerrière de la joute, où il s’agit, à coup d’arguments, d’abattre son adversaire. Ainsi la joute théologique qui, sous le règne d’al-Ma’mûn (m. 834), a vu s’affronter, à coup d’épîtres, le chrétien ‘Abd al-Masîh al-Kindî et le musulman ‘Abd Allâh al-Hâshimî. La conquête de l’Espagne, les Croisades, les conquêtes ottomanes en Europe, la colonisation européenne contribueront à nourrir au fil des siècles cet affrontement sur un double plan doctrinal et politique, marquant profondément les mentalités de part et d’autre. C’est au milieu du siècle dernier que naît la tradition moderne du dialogue islamo-chrétien. Une tendance absolument nouvelle, spectaculaire, due à des catholiques de gauche, parmi lesquels Louis Massignon (1883-1962).

La réforme interreligieuse de Vatican II
En 1954, alors que la guerre d’Algérie faisait rage, le célèbre islamologue réunissait des chrétiens et des musulmans, instituant un pèlerinage islamo-chrétien inédit, autour de la figure des Sept Dormants (Ahl al-Kahf). Proche de Mgr Giovanni Battista Montini, futur Paul VI, il contribuera à le sensibiliser à la question du dialogue entre égaux. Ainsi, ne sera-t-il pas étranger à la rupture instaurée par le concile Vatican II en 1964, et dans lequel on lit ce passage étonnant de la part d’une institution à l’origine de l’Inquisition : « Le dessein du salut embrasse aussi ceux qui reconnaissent le Créateur, et en premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes au dernier jour. » En 1976 aura lieu la première rencontre islamo-chrétienne de dimension internationale ; elle est organisée à Tripoli par le Saint-Siège et l’État libyen. L’année suivante est marquée par la fondation du GRIC, premier groupe de réflexion islamo-chrétien constitué par des universitaires. Depuis longtemps caducs, les cadres traditionnels ne permettent plus de concevoir la pluralité religieuse ; la modernité impose un dialogue réel, sans fin prosélyte –  ne serait-ce que par intérêt bien compris, pour défendre la spiritualité dans un monde toujours plus matérialiste.

Article publié sur Zaman France (15 décembre 2011).

Mots clés : Islam des mondes.

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