par Seyfeddine Ben Mansour
Le 2 décembre dernier s’est tenu, à l’Institut du monde arabe, un
colloque international sur le thème « Al-Ghazali, 900 ans après la mort
du grand penseur de l'Islam ». Organisé par l'Institut des hautes études
islamiques, en partenariat avec l'ISESCO et l’université de Strasbourg,
il se voulait un hommage à l’Algazel des manuscrits latins, au penseur
d’Islam qui a su faire la synthèse des questions philosophiques et
spirituelles de son temps. Aujourd’hui encore, il est ainsi, pour les
soufis, un mystique au parcours exceptionnel, pour les hommes de loi, un
juriste hors pair, et pour les ulémas, un théologien de référence. Abû
Hâmid Muhammad Ibn Muhammad al-Ghazâlî naît à Tûs, en Iran, en 1058. Il y
reçoit sa première instruction, avant de rejoindre la ville de
Nishâpûr, l’un des centres majeurs d’enseignement sunnite des XIe-XIIe
siècles. Il aura pour maître al-Jûwaynî, l’« imam des deux lieux
saints » (la Mecque et Médine), un savant qui faisait autorité en
théologie et en jurisprudence ash‘arites. Avide de savoir, et doté de
capacités intellectuelles exceptionnelles, al-Ghazâlî passera du statut
de disciple à celui d’assistant : remarqué par le puissant vizir turc
seldjoukide Nidhâm al-Mulk, il enseignera aux côtés de son maître au
sein de la madrasa Nidhâmiyya. Au sein de cette prestigieuse université
abbasside, plus de 300 étudiants — chiffre exceptionnel pour l’époque —
venaient assister à son cours de droit shâfi‘ite. Ce succès ainsi que
l’effervescence intellectuelle dans laquelle il a toujours vécu furent à
l’origine, en 1095, d’une crise spirituelle et intellectuelle :
al-Ghazâlî doute de tout ce qu’il sait, de la capacité des sciences à
nous rapprocher de la vérité divine. Cette crise se traduit physiquement
par une aphasie. Incapable de prononcer un son, il renonce à son poste
et, prétextant un pèlerinage, s’installe pour onze années sabbatiques à
Damas. Ce temps du renoncement au monde sera aussi celui d’une
production intellectuelle prolifique. Il écrira en effet entre 60 et 70
ouvrages, dont le célèbre Revivification des sciences de la religion,
sorte de somme (1.500 pages) de la pensée islamique médiévale, rédigée
dans une langue claire et accessible. Il écrira également L’incohérence des philosophes et Erreur et délivrance.
Usant de la méthode rationnelle d'Aristote, il y démontre les
« incohérences » des philosophes — la critique visait notamment
al-Farâbî (m. 950) et Ibn Sînâ (m. 1037). Il aboutit à la conclusion que
Dieu, la création et l’âme humaine sont des réalités qui ne peuvent
être correctement saisies que par le biais de la Révélation. Al-Ghazâlî
dénoncera de manière aussi méthodique et aussi résolue le principe de
l’infaillibilité de l’imam, principe à la base du chiisme. Les vices de l’ésotérisme et les vertus de l’exotérisme défend
ainsi l’orthodoxie sunnite, en ce XIe siècle où le califat abbasside
est très sérieusement affaibli. Il critiquera également la démesure de
certains soufis, auxquels il rappellera, en substance, que Dieu seul est
capable de se connaître Lui-même et que si s’annihiler en Lui n’est pas
impossible, la chose ne peut jamais être qu’éphémère. Prise dans son
ensemble, l’œuvre d’al-Ghazâlî se présente à la fois comme une synthèse
et un dépassement de la pensée islamique à un moment charnière de son
histoire. Elle offre ainsi l’image d’un corps dont le mysticisme soufi
serait le cœur, la théologie sunnite, la tête, la philosophie, les
membranes qui recouvrent et unissent et enfin, la jurisprudence, les
membres qui le font se mouvoir.
Mots clés : Al-Ghazâlî, Nishâpûr, Medine, Damas, la Mecque, Strasbourg, Tûs, Iran, Muhammad al-Ghazâlî, Islam des mondes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire