jeudi 10 juillet 2014

Al-Ghazâlî ou l’équilibre entre la Loi et son esprit

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 2 décembre dernier s’est tenu, à l’Institut du monde arabe, un colloque international sur le thème « Al-Ghazali, 900 ans après la mort du grand penseur de l'Islam ». Organisé par l'Institut des hautes études islamiques, en partenariat avec l'ISESCO et l’université de Strasbourg, il se voulait un hommage à l’Algazel des manuscrits latins, au penseur d’Islam qui a su faire la synthèse des questions philosophiques et spirituelles de son temps. Aujourd’hui encore, il est ainsi, pour les soufis, un mystique au parcours exceptionnel, pour les hommes de loi, un juriste hors pair, et pour les ulémas, un théologien de référence. Abû Hâmid Muhammad Ibn Muhammad al-Ghazâlî naît à Tûs, en Iran, en 1058. Il y reçoit sa première instruction, avant de rejoindre la ville de Nishâpûr, l’un des centres majeurs d’enseignement sunnite des XIe-XIIe siècles. Il aura pour maître al-Jûwaynî, l’« imam des deux lieux saints » (la Mecque et Médine), un savant qui faisait autorité en théologie et en jurisprudence ash‘arites. Avide de savoir, et doté de capacités intellectuelles exceptionnelles, al-Ghazâlî passera du statut de disciple à celui d’assistant : remarqué par le puissant vizir turc seldjoukide Nidhâm al-Mulk, il enseignera aux côtés de son maître au sein de la madrasa Nidhâmiyya. Au sein de cette prestigieuse université abbasside, plus de 300 étudiants — chiffre exceptionnel pour l’époque — venaient assister à son cours de droit shâfi‘ite. Ce succès ainsi que l’effervescence intellectuelle dans laquelle il a toujours vécu furent à l’origine, en 1095, d’une crise spirituelle et intellectuelle : al-Ghazâlî doute de tout ce qu’il sait, de la capacité des sciences à nous rapprocher de la vérité divine. Cette crise se traduit physiquement par une aphasie. Incapable de prononcer un son, il renonce à son poste et, prétextant un pèlerinage, s’installe pour onze années sabbatiques à Damas. Ce temps du renoncement au monde sera aussi celui d’une production intellectuelle prolifique. Il écrira en effet entre 60 et 70 ouvrages, dont le célèbre Revivification des sciences de la religion, sorte de somme (1.500 pages) de la pensée islamique médiévale, rédigée dans une langue claire et accessible. Il écrira également L’incohérence des philosophes et Erreur et délivrance. Usant de la méthode rationnelle d'Aristote, il y démontre les « incohérences » des philosophes — la critique visait notamment al-Farâbî (m. 950) et Ibn Sînâ (m. 1037). Il aboutit à la conclusion que Dieu, la création et l’âme humaine sont des réalités qui ne peuvent être correctement saisies que par le biais de la Révélation. Al-Ghazâlî dénoncera de manière aussi méthodique et aussi résolue le principe de l’infaillibilité de l’imam, principe à la base du chiisme. Les vices de l’ésotérisme et les vertus de l’exotérisme défend ainsi l’orthodoxie sunnite, en ce XIe siècle où le califat abbasside est très sérieusement affaibli. Il critiquera également la démesure de certains soufis, auxquels il rappellera, en substance, que Dieu seul est capable de se connaître Lui-même et que si s’annihiler en Lui n’est pas impossible, la chose ne peut jamais être qu’éphémère. Prise dans son ensemble, l’œuvre d’al-Ghazâlî se présente à la fois comme une synthèse et un dépassement de la pensée islamique à un moment charnière de son histoire. Elle offre ainsi l’image d’un corps dont le mysticisme soufi serait le cœur, la théologie sunnite, la tête, la philosophie, les membranes qui recouvrent et unissent et enfin, la jurisprudence, les membres qui le font se mouvoir.

Article publié sur Zaman France (29 décembre 2011).

Mots clés : Al-Ghazâlî, Nishâpûr, Medine, Damas, la Mecque, Strasbourg, Tûs, Iran, Muhammad al-Ghazâlî, Islam des mondes.

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